Biographie de Ichida Sōta

Ichida Sōta (市田 左右太, 1843-1896), qui fonda le studio le plus important du grand port de Kōbe, est probablement un des moins reconnus des grands photographes du Japon de Meiji. Il est aujourd'hui très peu présent dans les grandes collections publiques et privées, à la fois parce que ses photographies sont rares mais aussi car elles sont souvent non attribuées – ou encore attribuées par erreur à d'autres photographes…

Ichida Sōta est né dans le département de Hyōgo (qui inclut la ville de Kōbe). Il étudia la photographie à Nagasaki, sous la direction du célèbre pionnier Ueno Hikoma (上野彦馬, 1838-1904)1. Il s'installa à Kyōto au début des années 1860 où il épousa la fille d'un brasseur de saké en 1865 et y ouvrit un studio photo en 18672. En 1870 Ichida transféra son studio à Kōbe - alors appelé port de Hyōgo - le dernier port des traités, ouvert début 1868, juste avant la restauration de Meiji, par le Bakufu d'Edo. Là, dans la concession internationale en plein essor, résidait l'essentiel de la clientèle occidentale potentielle du Kansai. Ichida devint à l'ère Meiji le photographe principal de ce port commercial et touristique et il réalisa de nombreux portraits au format carte-album de résidents étrangers dans son studio. Celui-ci était bien situé, dans la rue principale de Kōbe, à quelques blocs des bureaux du gouvernement3, et il fut en 1879, lors de son déménagement, le premier bâtiment de style occidental de Motomachi avec ses murs de briques, son balcon et ses grandes fenêtres vitrées. La photographie était alors à la pointe de la modernité et pour beaucoup de Japonais, le studio photo fut leur première visite d'un bâtiment où l'on s'asseyait sur une chaise4. Notons l'existence à la même époque d'un studio français à Kōbe, celui des frères Gordes5.

Ichida installa un studio temporaire à Kyōto le temps de la première exposition de Kyōto (exposition des arts et manufactures, du 17 avril au 5 juillet 1872), installée dans l'enceinte de trois temples bouddhiques, le Nishi Hongan-ji, le Kennin-ji et le Chion-in. Ce fut pour les résidants étrangers du Japon, une des toutes premières opportunités d'obtenir une autorisation pour visiter Kyōto, désormais l'ancienne capitale. Dans une publicité à cette occasion du Hiogo News du 13 avril 1872, Ichida rappelait que l'on trouvait sur son stand "a complete assortment of splendid photographic views of Kioto, Osaka, Hiogo, Kobe, Suma, Akashi" selon son "well-know style of work".

Ichida, comme Uchida Kuichi à Tōkyō, était également un importateur de produits photographiques et obtint aussi des commandes officielles comme la documentation de l'ouverture de la ligne de chemin de fers reliant Kôbe à Kyoto. En 1877, il expose à la première foire industrielle nationale à Tōkyō, ainsi que Ueno Hikoma et Matsuzaki Shinji. Il y gagne un prix dont il reproduit la médaille sur cartes albums. En 1887, sa vue déclinant suite à une maladie oculaire il céda son affaire florissante à son fils adoptif Kojima Hidejirō (小島秀次郎). Le studio continua à prospérer jusqu'au années 1920 comme atelier photo et imprimeur. Kojima travailla sous le nom d'Ichida Sōta II (二代目市田 左右太) et fut un photographe pictorialiste reconnu dans les deux premières décennies du xxe siècle. Ichida forma également de nombreux photographes du Kansai dont Kuwada Shōsaburō (桑田正三郎, 1855-1932) qui ouvrit son studio à Kyōto en 1873. Il publia des guides de Kyōto6 sous forme de petits albums de photographies de tous les sites touristiques7 dont le musée Guimet possède quelques rares exemplaires8.

Références :

BENNET Terry, Photography in Japan: 1853–1912, Rutland, Vt, Charles E. Tuttle, 2006.

BOYD Torin, IZAKURA Naomi 井桜直美, Portraits in Sepia From the Japanese carte de visite collection of Torin Boyd and Naomi Izakura セピア色の肖像 幕末明治名刺判写真コレクション, Tōkyō, Asahi Sonorama 朝日ソノラマ, 2000.

GARTLAN Luke, A Career of Japan : Baron Raimund von Stillfried and Early Yokohama Photography, Leiden, Brill Academic Publishers, 2016.

KANEKO Ryūichi, Nihon shashinka jiten 日本写真家事典 [dictionnaire des photographes japonais], Kyōto: Tankōsha 淡交社, 2000.

SUCHOMEL Filip, SUCHOMELOVA Marcela, Journal of a voyage : the Erwin Dubský Collection : photographs from Japan in the 1870s, Brno, The Moravian Gallery in Brno, 2006.


Claude Estèbe

Notes

1. Ueno ouvrit un atelier à Nagasaki à l’automne 1862. Il avait une solide formation en chimie acquise à Nagasaki auprès des Hollandais. Il a écrit, en 1862, un manuel de chimie à partir de sources néerlandaises qui a fait longtemps référence au Japon. En annexe, il y décrivait avec précision le procédé au collodion humide. Ce photographe important est peu représenté dans les collections françaises mais la Bibliothèque Nationale de France en possède un album. Cf. ESTEBE Claude, « Ueno Hikoma. Un portraitiste à la fin du shôgunat », in Ebisu no 24, Automne-hiver 2000, Tôkyô, Maison Franco-japonaise, 2001.

2. Notons qu'à Kyôto, alors interdite aux étrangers, Hori Yohei (堀与兵衛, 1826-1880) avait déjà un studio prospère en 1866.

3. Moto-machi 3- chōme, de 1870 à 1879, puis Moto-machi 2- chōme jusqu'en 1887.

4. Cf. ESTEBE Claude, « Les premiers ateliers de photographie japonais (1859-1872) », in Etudes Photographiques no 19, Paris, Société Française de Photographie, 2007, pp. 19-21.

5. Henri Eugène Marie Gordes (c. 1842-1889) marchand et photographe commercial français tint un studio à Osaka de 1872 à 1875 puis à Kobe de 1875 à 1888 en association avec son frère Auguste. Une branche du studio aurait été ouverte à Nagasaki.

6. Intitulés Kyōto meisho satsuei par Kuwada Seishindō.

7. Ils contiennent des photographies des temples, palais, jardins mais aussi gares et bâtiments publics de Kyôto incluant un petit cartouche descriptif en japonais uniquement, mais ces albums pouvaient être utilisés par un visiteur étranger en pointant sur l'album la photographie du monument qu'il voulait visiter à son coureur de jinrikisha. Kuwada rédigea le premier dictionnaire des photographes japonais, intitulé le miroir de la lune (tsuki no kagami 「月乃鏡」) en 1916.

8. En particulier, un petit coffret d'albums (AP10671 à AP10822).