Ichida Sōta

Geisha transportée en kago dans un style parodique (mitate)


Commentaire

Cette étrange composition autour d'un kago est un mitate (見立て), une parodie raffinée caractéristique de la culture du monde flottant de l'époque Edo et c'est un thème souvent traité dans les estampes ukiyo-e (浮世絵). Un mitate peut prendre diverses formes, cela peut être un rébus visuel ou une parodie : au lieu de représenter le Bouddha sur son éléphant blanc, il est remplacé par une courtisane (oiran) assise sur l'éléphant sacré ou bien, dans une procession du sankin kōtai 1 , les hommes, samouraïs et serviteurs, sont remplacés par de belles jeunes femmes (bijin). C'est cette forme de parodie que l'on retrouve ici. Le kago est toujours porté par des hommes. Ici, ce sont deux jeunes femmes qui ont revêtus leurs costumes, le visage protégé du soleil de la route par une serviette pliée. Celle de droite tient à la main un kiseru, une petite pipe portative, et le nécessaire à fumer. Leurs visages sont maquillés de blanc, leurs sourcils (et peut-être leurs cils) sont rasés. Ce sont probablement deux geishas. Dans le kago est assise en seiza une geisha en tenue de danse avec un obi de style darari-no-obi qui pend à partir de leur taille jusqu'aux chevilles.

Cet équipage est uniquement destiné à la composition en studio de ce « crossdressing » parodique. Il était également impensable de se déplacer dans un kago exigu habillé dans une somptueuse tenue de cérémonie que l'on aurait pu froisser ou salir. La geisha qui pose est Era Kayo (江良加代), une célèbre geisha de Kyōto dont le musée Guimet possède plusieurs rares portraits et que l'on reconnaît également dans une autre épreuve de cet album (cf. épreuve 10546).

Era Kayo, également appelée o-Kayo, était une geisha populaire du hanamachi de Gion dans les années 1870. Un acteur de Kabuki déclara à son sujet qu'« on ne pouvait voir une aussi belle femme qu'une fois dans sa vie ». Elle fut la maîtresse de Saionji Kinmochi (1849-1940), qui fut Premier ministre. Kido Takayoshi (1833-1877) et Ito Hirobumi (1841-1909), un autre Premier ministre du Japon, étaient également parmi ses patrons. On reconnaît son long visage aux yeux en amandes sur de nombreuses photographies au format carte de visite diffusées à l'ère Meiji. Notons que le terme employé en japonais à cette époque pour désigner les geishas de Kyōto sur les photographies n'est pas geiko, comme aujourd'hui, mais geigi ou meigi pour les geishas célèbres.

Dans l'album, cette vue de taille moyenne, est collée sur la même page que la suivante (cf. 10567).

Notes

1. La résidence alternée, sankin kōtai (参勤交代) était l'obligation pour les daimyō à vivre un an sur deux dans leur résidence d'Edo, où ils laissaient leur famille en otage. Lors du voyage pour rejoindre cette résidence, le seigneur et ses proches voyageaient en norimono, escortés de centaines de samouraïs et de serviteurs.


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