Laqueur anonyme

Plats de dessus et de dessous


Commentaire

Le plat de couverture de cet album souvenir est inhabituel. Nous avons un plat en laque avec deux petites scènes insérées de motifs d'oiseaux et de fleurs. Dans les années 1860 les albums reliés à l'occidentale, comme ceux de Felice Beato, avaient toujours des plats en cuir et il en est de même des albums du premier studio de Stillfried jusqu'en 1875, puis du studio de Stillfried & Andersen. Celui-ci est une exception et annonce l'arrivée des albums à plat laqués avec un motif japonisant qui deviennent la norme des albums souvenirs (Yokohama shashin) au début des années 1880, comme ceux du studio de Kusakabe Kimbei par exemple.

Le frontispice, qui n'est pas daté, est au nom de Stillfried & Andersen, la firme commerciale fondée par le photographe autrichien, le Baron Raimund von Stillfried-Ratenicz (1839-1911) et le marchand prussien Hermann Andersen en 1876. Le studio fut actif jusqu'en 1885 sous cette appellation (Stillfried s'en est retiré en juin 1878 mais a laissé par contrat le nom du studio et l'ensemble de ses photographies à son ancien partenaire 1 ).
L'inclusion dans cet album d'épreuves de Beato 2 , dont le studio Stillfried & Andersen racheta le fonds en janvier 1877, indique qu'il a été composé au plus tôt en 1877. En raison d’une modification du système de numérotation des épreuves de l’album en 1880, on peut exclure toute datation postérieure 3 . Cet album peut donc être daté entre 1877 et 1880.
On remarque que la plupart des vues de paysages sont coloriées, contrairement à celles des albums précédents de Stillfried, qui jusqu'en 1876 étaient monochromes 4 . Cette mise en couleur quasi systématique a probablement commencée début 1877, après le rachat du fonds de Felice Beato, pour harmoniser un ensemble de vues de paysages un peu hétérogène.
Dans cet album typique de « Views and costumes », les « costumes » – portraits et scènes de genre – sont représentés à 41 % contre 59 % pour les paysages 5 . Ainsi, la proportion de paysages augmente par rapport aux albums de Beato (50/50).
Parmi les portraits nous avons 73 % d'hommes et 27 % de femmes, un taux inhabituel pour un album souvenir de la fin des années 1870. La proportion de portraits féminins augmentant fortement au cours de l'ère Meiji 6 et représentant, pour l'ensemble de la collection japonaise du MNAAG, 64 % contre 36 % pour les hommes.

Notons, même s'il ne s'agit souvent que de reconstitutions avec des figurants, que l'univers des samouraïs occupe encore ici une place importante avec dix photographies, dont trois de vrais samouraïs par Felice Beato et sept – essentiellement des modèles – par Raimund Stillfried.
En comparant les différents albums de Stillfried et de Stillfried & Andersen conservés au MNAAG, on remarque que la mise en couleur d'une même épreuve est toujours identique. Stillfried peignait lui-même un modèle et ses nombreux employés se conformaient à cette norme. Lorsqu'il colorie des portraits d'après des négatifs de Felice Beato, il ne reprend pas la mise en couleur, a priori fidèle, choisie par Beato mais opte pour des couleurs plus vives et plus variées qui ne sont pas toujours réalistes 7 .

Contrairement à la majorité des albums souvenirs produits au Japon au xixe siècle, cet album contient l'identité du photographe, inscrite sur le frontispice et affirmant le statut d'auteur et d'artiste de Raimund von Stillfried-Ratenicz.

Notes

1. Cf. biographie de Stillfried en annexe II.

2. Il y a quatorze épreuves d'après des négatifs de Beato sur les quatre-vingt-dix-neuf épreuves de l'album. Certaines vues de paysages ont été largement recadrées intentionnellement par Stillfried (lors d'un contretypage probablement).

3. ESTEBE Claude, Le Regard de l’Occident et les premiers photographes japonais 1860-1900, D.E.A de doctorat en langue & civilisation japonaise, sous la direction de Jean-Jacques Origas, Paris, INALCO, 1999, p. 51.

4. Ainsi, un autre album de Stillfried & Andersen que l'on peut dater de 1876 et conservé au MNAAG (cf. ancienne collection Dubois, DB105).

5. L'ordre des vues est inhabituel pour ce genre d'album, souvent très lié à l'itinéraire emprunté par les visiteurs pour leur tour du Japon. Cet album est arrivé en mauvais état dans les collections du MNAAG, toutes les pages étant détachées et mélangées. L'album a été restauré et remonté mais sans garantie que l'ordre des pages original ai pu être retrouvé, faute d'informations.

6. Constatation des résultats provisoires de la mission 2015.

7. Par exemple, pour sa mise en couleur du portrait de l'impératrice Haruko (nom posthume Shōken) à partir d'un négatif d'Uchida Kuichi, il opte pour un violet pour la veste courte kara-ginu de l'impératrice alors que le vêtement porté ce jour-la par l'impératrice était rouge.
Cf. ESTEBE Claude, Le premier âge d’or de la photographie au Japon (1848-1883), Thèse de doctorat en langue & civilisation japonaise, sous la direction de Pierre-François Souyri, Paris, INALCO, 2006, p. 256.


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